
La quête de solutions durables pour réduire l’utilisation de pesticides en agriculture est devenue une priorité mondiale. L’une des approches les plus prometteuses réside dans le développement et l’adoption de variétés végétales résistantes aux maladies et aux ravageurs. Ces innovations génétiques offrent aux agriculteurs des outils puissants pour protéger leurs cultures tout en minimisant l’impact environnemental. De la vigne aux céréales en passant par les arbres fruitiers, les avancées récentes en sélection variétale ouvrent de nouvelles perspectives pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé humaine.
Mécanismes de résistance des plantes aux ravageurs et maladies
Les plantes ont développé au fil de l’évolution divers mécanismes de défense contre les agressions biotiques. Ces mécanismes peuvent être classés en deux grandes catégories : la résistance constitutive et la résistance induite. La résistance constitutive englobe les barrières physiques comme la cuticule ou les trichomes, ainsi que les composés chimiques préexistants tels que les métabolites secondaires. La résistance induite, quant à elle, implique l’activation de réponses de défense suite à la détection d’un pathogène ou d’un ravageur.
Au cœur de ces mécanismes se trouvent les gènes de résistance, ou gènes R , qui jouent un rôle crucial dans la reconnaissance des agents pathogènes et le déclenchement des réponses immunitaires. Ces gènes codent souvent pour des protéines contenant des domaines NBS-LRR
(Nucleotide-Binding Site Leucine-Rich Repeat), capables de détecter spécifiquement des effecteurs microbiens. La compréhension approfondie de ces mécanismes moléculaires a ouvert la voie à des stratégies de sélection plus ciblées et efficaces.
L’identification et l’exploitation de ces gènes de résistance naturels constituent le fondement de la création de variétés résistantes. Les sélectionneurs s’efforcent d’intégrer ces gènes dans des variétés agronomiquement performantes, tout en veillant à préserver leur durabilité face à l’évolution constante des pathogènes. Cette approche permet de réduire significativement le recours aux pesticides, tout en maintenant des niveaux de production satisfaisants.
Variétés résistantes en viticulture
La viticulture est l’un des secteurs agricoles les plus concernés par l’utilisation de produits phytosanitaires, notamment en raison de la sensibilité de la vigne à diverses maladies fongiques. Les efforts de recherche se sont donc intensifiés pour développer des cépages résistants, capables de faire face aux principaux pathogènes sans recourir massivement aux traitements chimiques.
Cépages INRA-ResDur contre le mildiou et l’oïdium
L’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) a mis au point une série de cépages innovants dans le cadre du programme ResDur. Ces variétés, issues de croisements entre des cépages traditionnels et des espèces de vignes américaines ou asiatiques naturellement résistantes, présentent une forte résistance au mildiou et à l’oïdium, deux maladies fongiques majeures de la vigne.
Les cépages ResDur, tels que l’Artaban, le Vidoc ou le Floreal, permettent une réduction drastique des traitements fongicides, de l’ordre de 80 à 90%. Cette avancée représente une véritable révolution pour le secteur viticole, offrant la possibilité de produire des vins de qualité tout en diminuant considérablement l’empreinte environnementale. Cependant, l’adoption de ces nouveaux cépages reste un défi, notamment en raison des réglementations strictes régissant les appellations d’origine contrôlée (AOC).
Variétés PIWI pour une viticulture durable
Les variétés PIWI (Pilzwiderstandsfähige Rebsorten), également connues sous le nom de cépages résistants aux maladies fongiques, constituent une autre approche prometteuse pour une viticulture plus durable. Ces cépages, issus de croisements interspécifiques, combinent la résistance naturelle de certaines espèces de Vitis avec les qualités organoleptiques des cépages traditionnels.
Parmi les variétés PIWI les plus connues, on peut citer le Regent, le Solaris ou le Muscaris. Ces cépages offrent une résistance accrue non seulement au mildiou et à l’oïdium, mais aussi à d’autres maladies comme le botrytis. Leur culture permet de réduire significativement l’usage de fongicides, avec des économies pouvant atteindre 70 à 80% par rapport aux cépages conventionnels. De plus, certaines variétés PIWI montrent une meilleure adaptation aux conditions climatiques changeantes, un atout non négligeable dans le contexte du réchauffement climatique.
Muscadinia rotundifolia : source de résistance naturelle
L’espèce Muscadinia rotundifolia , originaire du sud-est des États-Unis, s’est révélée être une source précieuse de gènes de résistance pour la vigne. Cette espèce présente une résistance naturelle à de nombreux pathogènes, y compris le mildiou, l’oïdium et le phylloxéra, un insecte ravageur redoutable pour la vigne européenne.
Les chercheurs ont réussi à introgresser des gènes de résistance de M. rotundifolia dans le génome de la vigne cultivée ( Vitis vinifera ), créant ainsi des hybrides interspécifiques hautement résistants. Cette approche a notamment donné naissance au locus Run1
(Resistance to Uncinula necator 1), qui confère une résistance durable à l’oïdium. L’utilisation de ces ressources génétiques sauvages ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de cépages combinant résistance et qualité œnologique.
Techniques de sélection assistée par marqueurs (SAM)
La sélection assistée par marqueurs (SAM) a révolutionné les programmes de sélection variétale en viticulture. Cette technique permet d’identifier et de suivre la présence de gènes de résistance spécifiques tout au long du processus de sélection, sans avoir à attendre l’expression phénotypique des caractères d’intérêt.
Dans le cas de la vigne, la SAM a permis d’accélérer considérablement le développement de nouveaux cépages résistants. Par exemple, l’utilisation de marqueurs moléculaires associés aux gènes de résistance au mildiou ( Rpv1
, Rpv3
) et à l’oïdium ( Run1
, Ren3
) a facilité la création de variétés multi-résistantes. Cette approche permet non seulement de gagner du temps, mais aussi d’optimiser la durabilité des résistances en combinant plusieurs gènes complémentaires.
La sélection assistée par marqueurs a permis de réduire de moitié le temps nécessaire au développement de nouveaux cépages résistants, passant d’environ 25-30 ans à 10-15 ans.
Innovations en arboriculture fruitière
L’arboriculture fruitière fait face à de nombreux défis phytosanitaires, nécessitant souvent un usage intensif de pesticides. Le développement de variétés résistantes représente donc un enjeu majeur pour ce secteur, avec des avancées significatives pour plusieurs espèces fruitières.
Pommes ariane et juliet résistantes à la tavelure
La tavelure, causée par le champignon Venturia inaequalis , est l’une des maladies les plus préoccupantes en pomiculture. Les variétés Ariane et Juliet, issues de programmes de sélection français, ont marqué une avancée importante dans la lutte contre cette maladie. Ces pommes portent le gène Vf
(renommé Rvi6
), qui leur confère une résistance élevée à la tavelure.
La variété Ariane, développée par l’INRAE, combine cette résistance avec des qualités gustatives appréciées des consommateurs. Juliet, quant à elle, est la première variété de pomme bio résistante à la tavelure commercialisée en France. Ces innovations permettent de réduire considérablement l’utilisation de fongicides dans les vergers, avec une diminution pouvant atteindre 80% des traitements contre la tavelure.
Abricotiers résistants à la sharka (PPV)
La sharka, causée par le virus de la variole du prunier (Plum Pox Virus ou PPV), est une maladie dévastatrice pour les arbres fruitiers à noyau, en particulier les abricotiers. Les efforts de recherche ont abouti à la création de variétés d’abricotiers résistantes à cette maladie virale, offrant une solution durable aux arboriculteurs.
Parmi ces variétés, on peut citer ‘Shamade’ et ‘Flavorcot’, qui portent des gènes de résistance au PPV. Ces abricotiers résistants permettent non seulement de réduire l’utilisation d’insecticides visant à contrôler les pucerons vecteurs du virus, mais aussi d’éviter les arrachages massifs d’arbres infectés. L’adoption de ces variétés contribue ainsi à la pérennité des vergers et à la stabilité économique des producteurs.
Pêchers tolérants au puceron vert du pêcher
Le puceron vert du pêcher ( Myzus persicae ) est un ravageur majeur en arboriculture, causant des dégâts directs sur les arbres et pouvant transmettre des virus. Des programmes de sélection ont permis de développer des variétés de pêchers présentant une tolérance accrue à ce ravageur.
Ces variétés tolérantes, comme ‘Rubisco’ ou ‘Bellerime’, sont capables de limiter la prolifération des pucerons sans recourir systématiquement aux insecticides. Les mécanismes impliqués incluent des modifications de la composition chimique des feuilles, les rendant moins attractives ou nutritives pour les pucerons. Bien que cette tolérance ne soit pas une résistance totale, elle permet de réduire significativement l’usage d’insecticides, s’inscrivant dans une démarche de lutte intégrée.
Céréales et oléagineux : progrès génétiques majeurs
Les grandes cultures céréalières et oléagineuses occupent une place centrale dans l’agriculture mondiale. Les efforts de recherche pour développer des variétés résistantes aux maladies et aux ravageurs ont permis des avancées significatives, contribuant à une réduction notable de l’utilisation de pesticides sur ces cultures stratégiques.
Blé tendre résistant à la septoriose et à la fusariose
La septoriose et la fusariose sont deux maladies fongiques majeures du blé, pouvant causer des pertes de rendement importantes et altérer la qualité des grains. Les programmes de sélection ont permis de développer des variétés de blé tendre présentant une résistance accrue à ces pathogènes.
Pour la septoriose, des variétés comme ‘RGT Sacramento’ ou ‘LG Absalon’ intègrent plusieurs gènes de résistance, offrant une protection multifactorielle contre Zymoseptoria tritici . Concernant la fusariose, des variétés telles que ‘Rubisko’ ou ‘Oregrain’ présentent une tolérance améliorée à Fusarium graminearum . Ces innovations permettent de réduire la fréquence et les doses des traitements fongicides, avec des économies pouvant atteindre 30 à 40% selon les conditions climatiques.
Orge tolérante à la jaunisse nanisante (BYDV)
La jaunisse nanisante de l’orge, causée par le virus BYDV (Barley Yellow Dwarf Virus), est une maladie virale transmise par les pucerons qui peut affecter sévèrement les rendements des céréales. Des progrès récents en sélection variétale ont permis de développer des variétés d’orge tolérantes à cette maladie.
La variété ‘RGT Planet’, par exemple, intègre le gène Ryd2
qui confère une tolérance accrue au BYDV. Cette innovation génétique permet de limiter les dégâts causés par le virus, même en présence de pucerons vecteurs. En conséquence, l’utilisation d’insecticides pour contrôler les populations de pucerons peut être réduite, s’inscrivant dans une approche de lutte intégrée plus durable.
Colza résistant au phoma et au sclérotinia
Le colza est une culture oléagineuse majeure, mais sensible à plusieurs maladies fongiques, dont le phoma et le sclérotinia. Les efforts de sélection ont abouti à des variétés présentant une résistance améliorée à ces pathogènes, permettant de réduire significativement l’usage de fongicides.
Pour le phoma, des variétés comme ‘DK Exception’ ou ‘ES Mambo’ intègrent des gènes de résistance spécifiques ( Rlm7
, Rlm3
) qui offrent une protection efficace contre Leptosphaeria maculans . Concernant le sclérotinia, bien qu’il n’existe pas de résistance totale, des variétés comme ‘Architect’ ou ‘Diffusion’ montrent une tolérance accrue, permettant de limiter la propagation de la maladie. Ces innovations contribuent à une réduction de l’IFT (Indice de Fréquence de Traitement) fongicide pouvant atteindre 25 à 30% dans certaines situations.
L’adoption de variétés résistantes en grandes cultures a permis de réduire l’utilisation de
pesticides de 20 à 30% en moyenne sur les principales cultures céréalières et oléagineuses au cours des 20 dernières années.
Légumes et cultures maraîchères résistants
Tomates résistantes au mildiou (phytophthora infestans)
Le mildiou, causé par l’oomycète Phytophthora infestans, est l’une des maladies les plus dévastatrices de la tomate. Des efforts considérables ont été déployés pour développer des variétés résistantes, offrant une alternative durable aux traitements fongicides intensifs.
Les variétés comme ‘Defiant PhR’ ou ‘Mountain Magic’ intègrent des gènes de résistance issus d’espèces sauvages de tomates, notamment Solanum pimpinellifolium. Ces variétés combinent les gènes Ph-2
et Ph-3
, conférant une résistance à large spectre contre diverses souches de P. infestans. L’utilisation de ces tomates résistantes permet de réduire les applications fongicides de 50 à 75%, selon les conditions environnementales.
Laitues multi-résistantes au bremia lactucae
Le mildiou de la laitue, causé par Bremia lactucae, est un défi majeur pour les producteurs de salades. La sélection variétale a permis de développer des laitues présentant une résistance multiple à différentes races de ce pathogène.
Des variétés comme ‘Kitare’ ou ‘Analena’ intègrent plusieurs gènes de résistance (Dm
) leur permettant de faire face à un large éventail de races de B. lactucae. Ces innovations génétiques offrent une protection robuste, réduisant la dépendance aux fongicides de 60 à 80% dans de nombreux systèmes de production. Comment ces avancées impactent-elles la durabilité des systèmes maraîchers ?
Pommes de terre résistantes au mildiou et aux nématodes
La pomme de terre est confrontée à divers bioagresseurs, dont le mildiou (Phytophthora infestans) et les nématodes à kystes (Globodera spp.). Les programmes de sélection ont abouti à des variétés combinant des résistances multiples.
La variété ‘Alouette’, par exemple, présente une forte résistance au mildiou grâce au gène Rpi-vnt1
, issu de l’espèce sauvage Solanum venturii. D’autres variétés, comme ‘Innovator’, combinent cette résistance au mildiou avec une résistance aux nématodes à kystes. Ces innovations permettent de réduire l’utilisation de fongicides de 70 à 90% et de limiter l’usage de nématicides, souvent très toxiques pour l’environnement.
L’adoption de variétés de pommes de terre multi-résistantes pourrait réduire l’empreinte environnementale de cette culture de près de 50%, en considérant l’ensemble des impacts liés aux pesticides.
Stratégies d’intégration des variétés résistantes en agriculture
Rotation et diversification variétale
L’intégration efficace des variétés résistantes dans les systèmes agricoles nécessite une approche stratégique. La rotation et la diversification variétale jouent un rôle crucial dans la gestion durable des résistances et la préservation de leur efficacité à long terme.
La rotation des cultures avec des espèces non-hôtes permet de briser les cycles des pathogènes et des ravageurs. En complément, l’alternance de variétés possédant différents gènes de résistance au sein d’une même espèce contribue à réduire la pression de sélection sur les populations de bioagresseurs. Cette stratégie, appelée « mosaïque génétique », ralentit l’émergence de souches capables de contourner les résistances.
Combinaison avec des pratiques agroécologiques
Les variétés résistantes s’inscrivent dans une approche plus large de gestion intégrée des cultures. Leur efficacité est optimisée lorsqu’elles sont associées à d’autres pratiques agroécologiques. Quelles synergies peut-on exploiter pour maximiser la protection des cultures ?
L’utilisation de couverts végétaux, la mise en place de haies et de bandes fleuries favorisent la présence d’auxiliaires naturels, renforçant la résilience globale du système. Les techniques de biocontrôle, comme l’utilisation de champignons antagonistes ou de bactéries promotrices de croissance, peuvent compléter les résistances génétiques. Cette approche multi-factorielle permet de réduire davantage le recours aux pesticides, avec des diminutions pouvant atteindre 80 à 90% dans certains systèmes innovants.
Gestion durable des résistances génétiques
La durabilité des résistances variétales est un enjeu crucial pour maintenir leur efficacité face à l’évolution constante des pathogènes. La gestion raisonnée de ces résistances implique une compréhension fine des mécanismes génétiques et épidémiologiques en jeu.
L’utilisation de résistances polygéniques, impliquant plusieurs gènes à effets quantitatifs, offre une barrière plus difficile à franchir pour les pathogènes. Le pyramidage de gènes, consistant à combiner plusieurs gènes de résistance dans une même variété, renforce également la durabilité. Des outils de modélisation, comme le modèle R-GENE
, permettent de simuler l’évolution des populations pathogènes et d’optimiser les stratégies de déploiement des résistances à l’échelle du paysage.
Réglementation et homologation des nouvelles variétés
L’introduction de nouvelles variétés résistantes sur le marché est encadrée par des processus réglementaires stricts, visant à garantir leur sécurité et leur efficacité. Ces procédures varient selon les pays et les types de cultures.
En Europe, l’inscription au Catalogue officiel des espèces et variétés est obligatoire pour la commercialisation. Les critères d’évaluation incluent la Distinction, l’Homogénéité et la Stabilité (DHS), ainsi que la Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale (VATE). Pour les variétés résistantes, des tests spécifiques vérifient l’efficacité et la durabilité des résistances revendiquées. Ces processus, bien que parfois longs, assurent la mise sur le marché de variétés fiables et performantes.
La réglementation évolue pour mieux prendre en compte les bénéfices environnementaux des variétés résistantes. En France, le nouveau protocole VATE intègre désormais un bonus pour les variétés permettant une réduction significative de l’usage des pesticides.
L’adoption croissante de variétés résistantes, combinée à des pratiques agroécologiques innovantes, ouvre la voie à une agriculture plus durable et moins dépendante des pesticides. Ces avancées génétiques, fruits de décennies de recherche, offrent des solutions concrètes pour relever les défis environnementaux et sanitaires du XXIe siècle. Néanmoins, leur intégration réussie nécessite une approche systémique, prenant en compte la complexité des agroécosystèmes et l’évolution constante des bioagresseurs.